Jean BERTAUT ( 1552 - 1611)
Complainte sur une absence
Je n'ay veu qu'à regret la clarté du Soleil,
Et rien tant soit-il beau mon ame ravie,
Depuis soupirant j'éloignay ce bel oeil,
De qui la seule veuë est tout l'heur de ma vie.
Les jours les plus luisants me sont obscures nuits,
Que je passe en tristesse et complaintes funebres,
Ne pouvant le ciel mesme, au fort de tant d'ennuis,
Illuminer le corps dont l'ame est en tenebres.
Je ne fay que penser à l'heur que j'ay perdu,
Quoy que ce souvenir aigrissant ma complainte
M'égalle au criminel sur la gesne étendu,
M'estant chaque pensée une mortelle attainte.
Le seul bien portrait exprimant sa beauté
Console un peu mes yeux et mon dueil diminue :
Mais qu'est-ce que cela m'en voyant absenté,
Si ce n'est pour Junon embrasser une nue.
Ah, que je veux de mal aux rigueurs de la loy,
Qui de m'en éloigner acquis la puissance !
Que j'en hay mon devoir aussi bien comme moy,
Luy du commandement, moy de l'obéissance.
Falloit-il qu'oubliant les saints voeux d'amitié,
Pour croire un vain respect et suivre sa Chimere,
Je commisse une erreur indigne de pitié,
De peur d'en commettre une excusable et legere ?
Non, je ne me sçaurois laver de ce peché,
Ny ne puis concevoir qu'il me soit pardonnable :
Et me dois voir ce crime à jamais reproché,
Si je suis vangeur aussi bien que coulpable.
Mais quel plus grand tourment que de m'en voir bany
Peut chastier mon coeur faut qu'il punisse ?
Helas, commis m'en estre puny :
Mon peché m'est luy-mesme un rigoureux supplice.
Aussi, quoy que l'Amour plaigne justement,
Si sent-il au pardon la pitié le contraindre ;
Voyant ma propre erreur m'estre un si grand tourment,
Que se plaindre de moy ce n'est rien ...
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