PAUL VERLAINE
BIBLIO-SONNETS
(1895/publié en 1913)
I
BIBLIOPHILIE
Le vieux livre qu''on a lu, relu tant de fois !
Brisé, navré, navrant, fait hideux par l''usage,
Soudain le voici frais, pimpant, jeune visage
Et fin toucher, délice et des yeux et des doigts.
Ce livre cru bien mort, chose d''ombre et d''effrois,
Sa résurrection " ne surprend pas le sage ".
Qui sait, ô Relieur, artiste ensemble et mage,
Combien tu fais encore mieux que tu ne dois.
On le reprend, ce livre en sa toute jeunesse,
Comme l''on reprendrait une ancienne maîtresse
Que quelque fée aurait revirginée au point ;
On le relit comme on écouterait la Muse
D''antan, voix d''or qu''éraillait l''âge qui nous point :
Claire à nouveau, la revoici qui nous amuse.
12 octobre 1895.
II
BIBLIOMANIE
Lire n''est rien : faut avoir lu ; faut ; l''a fallu !
Pour que si vous lisez dans les livres, qu''honore
La Reliure gaie ou sombre, que décore
Encore un blason fier ou tendre au choix élu,
Pourriez, hélas ! contaminer d''un doigt poilu
D''amateur brut le vélin noble que, sonore
Abstraitement, la gloire emplit, glaive ou mandore,
D''un grand héros ou d''un poète très... relu !
C''est vrai qu''étant à la fleur de votre bel âge,
Vous auriez tort -- quand l''Amour vous laisserait cois
Un instant -- de ne pas lire, -- tels autrefois
Nous ! -- les exploits et les beaux vers, quittes, hommage
Suprême, à vénérer, dès dûment reliés,
Leur majesté, leur force et... leurs dos repliés !
III
BIBLIOTHEQUES
Meuble sublime ou ridicule, ou tous les deux,
Qui, mon goût consulté, serait plutôt modeste
Et de proportions, et de luxe, et du reste,
Salut, Bibliothèque, antre auguste et hideux !
Mais les livres, ici, n''en point parler vaut mieux ;
Le logis, le local, indigent ou céleste,
Seul, nous veut occuper d''un oeil profond ou leste,
Et déjà l''examen me ...
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