Alphonse Lamartine
PREMIÈRES MÉDITATIONS POÉTIQUES
La mort de Socrate
par
M. de Lamartine
1860
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PRÉFACE.
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L'homme se plaît à remonter à sa source; le fleuve n'y remonte pas. C'est que
l'homme est une intelligence et que le fleuve est un élément. Le passé, le
présent, l'avenir, ne sont qu'un pour Dieu. L'homme est Dieu par la pensée. Il
voit, il sent, il vit à tous les points de son existence à la fois. Il se
contemple lui-même, il se comprend, il se possède, il se ressuscite et il se
juge dans les années qu'il a déjà vécu. En un mot, il revit tant qu'il lui plaît
de revivre par ses souvenirs. C'est souffrance quelquefois, mais c'est sa
grandeur. Revivons donc un moment, et voyons comment je naquis avec une parcelle
de ce qu'on appelle poésie dans ma nature, et comment cette parcelle de feu
divin s'alluma en moi à mon insu, jeta quelques fugitives lueurs dans ma
jeunesse, et s'évapora plus tard dans les grands vents de mon équinoxe et dans
la fumée de ma vie.
J'étais né impressionnable et sensible. Ces deux qualités sont les deux premiers
éléments de toute poésie. Les choses extérieures à peine aperçues laissaient une
vive et profonde empreinte en moi; et, quand elles avaient disparu de mes yeux,
elles se répercutaient et se conservaient présentes dans ce qu'on nomme
l'imagination, c'est-à-dire la mémoire, qui revoit et qui repeint en nous. Mais,
de plus, ces images ainsi revues et repeintes se transformaient promptement en
sentiment. Mon âme animait ces images, mon coeur se mêlait à ces impressions.
J'aimais et j'incorporais en moi ce qui m'avait frappé. J'étais une glace
vivante ...
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