Le Corbeau (traduction de Charles Baudelaire, 1856)
Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et
fatigué, sur maint précieux et curieux volume d''une doctrine oubliée,
pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un
tapotement, comme de quelqu''un frappant doucement, frappant à la porte
de ma chambre. "C''est quelque visiteur, - murmurai-je, - qui frappe à la
porte de ma chambre; ce n''est que cela, et rien de plus."
Ah! distinctement je me souviens que c''était dans le glacial décembre,
et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie.
Ardemment je désirais le matin; en vain m''étais-je efforcé de tirer de
mes livres un sursi à ma tristesse, ma tristesse pour ma Léonore perdue,
pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, - et
qu''ici on ne nommera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague brissement des rideaux pourprés me
pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi
jusqu''à ce jour; si bien qu''enfin, pour apaiser le battement de mon
coeur, je me dressai, répétant: "C''est quelque visiteur qui sollicite
l''entrée à la porte de ma chambre; - c''est cela même, et rien de plus."
Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N''hésitant donc pas plus
longtemps: "Monsieur, - dis-je, - ou madame, en vérité, j''implore votre
pardon; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu taper à
la porte de ma chambre, qu''à peine étais-je certain de vous avoir
entendu." Et alors j''ouvris la porte toute grande; - les ténèbres, et
rien de plus!
Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein
d''étonnements, de crainte, de doute, révant des rêves qu''aucun mortel
n''a jamais osé réver; mais le silence ne fut pas troublé, et
l''immobilité ne donna ...
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