Le cimetière plein d'officiers avait l'air d'un champ fleuri. Les képis et les culottes rouges, les galons et les boutons d'or, les sabres, les aiguillettes de l'état-major, les brandebourgs des chasseurs et des hussards passaient au milieu des tombes dont les croix blanches ou noires ouvraient leurs bras lamentables, leurs bras de fer, de marbre ou de bois, sur le peuple disparu des morts.
On venait d'enterrer la femme du colonel de Limousin. Elle s'était noyée deux jours auparavant, en prenant un bain.
C'était fini, le clergé était parti, mais le colonel, soutenu par deux officiers, restait debout devant le trou au fond duquel il voyait encore le coffre de bois qui cachait, décomposé déjà, le corps de sa jeune femme.
C'était presque un vieillard, un grand maigre à moustaches blanches qui avait épousé trois ans plus tôt, la fille d'un camarade, demeurée orpheline après la mort de son père, le colonel Sortis.
Le capitaine et le lieutenant sur qui s'appuyait leur chef essayaient de l'emmener. Il résistait, les yeux pleins de larmes qu'il ne laissait point couler, par héroïsme, et, murmurant, tout bas : "Non, non, encore un peu", il s'obstinait à rester là, les jambes fléchissantes, au bord de ce trou, qui lui paraissait sans fond, un abîme où étaient tombés son coeur et sa vie, tout ce qui lui restait sur terre.
Tout à coup le général Ormont s'approcha, saisit par le bras le colonel, et l'entraînant presque de force : "Allons, allons, mon vieux camarade, il ne faut pas demeurer là." Le colonel obéit alors, et rentra chez lui.
Comme il ouvrait la porte de son cabinet, il aperçut une lettre sur sa table de travail. L'ayant prise, il faillit tomber de surprise et d'émotion, il avait reconnu l'écriture de sa femme. Et la lettre portait ...
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